Alors que le « mariage pour tous » a été légiféré après de longs débats politiques très médiatisés, ce n’est pas encore le cas de l’adoption d’enfants par les couples homosexuels. Ainsi, face au vide juridique que cette situation représente, la jurisprudence tâtonne et semble avancer prudemment.
Le 12 janvier 2015, le Tribunal de Grande Instance de Cahors a rejeté une demande d’adoption plénière d’un garçon né le 10 octobre 2012. La demande d’adoption avait été formulée par un couple de femmes qui avait contracté un PACS le 9 décembre 2011. Ce PACS a été transformé en mariage le 1er mars 2014.
Avant la naissance de l’enfant, les femmes s’étaient rendues en Espagne pour avoir recours à une technique de procréation médicalement assistée non ouverte en France aux couples de femmes. Le juge a donc conclu à une fraude à la loi que l’intérêt de l’enfant ne pouvait pas justifier et à une atteinte au principe d’égalité entre les couples de femmes et les couples d’hommes, ces derniers ne pouvant pas avoir recours à une telle technique de reproduction.
Mais, sur la question de l’adoption par les couples homosexuels, la Cour de Cassation a rendu deux avis en date du 22 septembre 2014. Elle considère que « l’assistance médicale à la procréation sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption par l’épouse de la mère de l’enfant né de cette procréation dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».
La Cour de Cassation considère donc que le recours, à l’étranger, à une technique de procréation assistée par les couples homosexuels n’est plus constitutif d’une fraude. Mais, la Cour d’Appel d’Agen doit vérifier que toutes les conditions nécessaires au prononcé de l’adoption plénière sont présentes et si l’adoption respecte l’intérêt de l’enfant.
Ainsi, la Cour d’Appel d’Agen se soumet à la hiérarchie judiciaire et censure le jugement du Tribunal de Grande Instance de Cahors. Par conséquent, l’épouse de la mère peut adopter l’enfant né suite à une insémination assistée en Espagne. Il sera fait mention de l’adoption en marge des états civils.
Cour d’Appel d’Agen 18 janvier 2016 – RG: 15/00850
« COUR D’APPEL D’AGEN – Chambre Civile
Prononcé par mise à disposition au greffe conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le dix huit Janvier deux mille seize, par Thierry PERRIQUET, président de chambre, assisté de Nathalie CAILHETON, greffier,
LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,
CONCERNANT :
Madame Emmanuelle Marie Cécile P. née le 06 octobre 1972 à COSNE COURS SUR LOIRE (58200) nationalité française, géologue
Madame Cécile V. née le 4 mai 1972 à TERGNIER (02700) nationalité française, Maître de conférence
Domiciliées ensemble : Les Vignes
Représentées par Me Laurent BELOU, de la SELARL Cabinet Laurent BELOU, avocat postulant inscrit au barreau du LOT
Et Me Emilie DURET, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS
Monsieur LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE – Boulevard Léon Gambetta 46010 CAHORS CEDEX
représenté par Antoine LEROY, substitut général, qui a fait connaître son avis,
APPELANTS d’un Jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de CAHORS en date du 12 Juin 2015
a rendu l’arrêt contradictoire suivant. La cause a été débattue et plaidée en chambre du conseil, le 07 Décembre 2015 sans opposition des parties, devant Thierry PERRIQUET, président de chambre, et Jean Paul LACROIX ANDRIVET, conseiller, rapporteurs, assistés de Nathalie CAILHETON, greffier. Le président de chambre et le conseiller, rapporteurs, en ont, dans leur délibéré, rendu compte à la cour composée, outre eux mêmes, de Christine GUENGARD, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 786 du code de procédure civile, et qu’il en ait été délibéré par les magistrats ci dessus nommés, les parties ayant été avisées par le président, à l’issue des débats, que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe à la date qu’il indique.
Vu le jugement rendu entre les parties le 12 juin 2015 par le tribunal de grande instance de Cahors,
Vu la déclaration d’appel du 23 juin 2015 de Mme Emmanuelle P.,
Vu la déclaration d’appel du 25 juin 2015 de M. Le Procureur de la République,
Vu la déclaration d’appel du 29 juin 2015 de Mme Cécile V. E,
Vu les observations écrites déposées au greffe le 02 septembre 2015 par M. Le Procureur de la République.
Vu les dernières conclusions déposées le 22 septembre 2015 par Mmes P. et V.,
SUR CE,
Attendu que par le jugement frappé d’appel, le Tribunal de Grande Instance de CAHORS statuant en application de l’article 353 du code civil a rejeté le 12 juin 2015 la requête présentée le 12 janvier 2015 par Emmanuelle P. tendant à voir prononcer à son profit l’adoption plénière de Pablo V. E, né le 10 octobre 2012 à CAHORS de Cécile V. E.
Attendu que pour statuer ainsi, le premier juge retient que ces deux personnes de même sexe, liées par un pacte de solidarité le 9 décembre 2011 et mariées le 1er mars 2014 ont, préalablement à cette naissance, eu recours en Espagne à une technique de procréation médicalement assistée non ouverte en France aux couples de femmes ; qu’il s’en déduit une fraude à la loi faisant obstacle au prononcé de l’adoption de l’enfant dont l’intérêt allégué ne peut justifier ladite fraude, ainsi qu’une atteinte au principe d’égalité devant la loi puisqu’une distinction est ainsi crée entre les couples de femmes et les couples d’hommes, ces derniers ne pouvant recourir à une telle technique de reproduction.
Attendu que Emmanuelle P. ayant relevé appel du jugement dont elle demande l’infirmation sollicite que soit prononcée l’adoption plénière à son profit de Pablo V. E qui devra désormais se nommer Pablo Camille V. E P., l’adoption devant produire ses effets à compter du 12 janvier 2015, date du dépôt de la requête, le jugement (sic) à intervenir devant être transcrit sur les registres de l’état civil de CAHORS.
Attendu que le Parquet Général a requis le 1er septembre 2015 l’infirmation du jugement querellé et que soit prononcée l’adoption plénière de Pablo V. E par Emmanuelle P..
Attendu que par deux avis en date du 22 septembre 2014, la Cour de Cassation considère que le recours à l’assistance médicale à la procréation sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption par l’épouse de la mère de l’enfant né de cette procréation dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant.
Attendu qu’il en résulte que si la démarche choisie par la requérante de participer à l’étranger à un processus de procréation tarifé et interdit en France n’est plus constitutif d’une fraude, il reste cependant à la juridiction saisie en matière gracieuse pour prononcer l’adoption plénière de l’enfant né de cette technique médicale de vérifier si les autres conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant ;
Attendu à cet égard que les articles 348-3 du code civil et 1165 du code de procédure civile stipulent que le consentement à l’adoption doit être recueilli par un notaire français ou étranger qui doit faire connaître à l’auteur du consentement, d’une part la possibilité de rétracter son consentement pendant deux mois, d’autre part les modalités de la rétractation, l’acte prévu au premier article devant mentionner que cette information a bien été donnée.
Attendu qu’il ressort des documents produits par la requérante établis le 5 septembre 2014 et le 1er décembre 2014 par Maître SENNAC, notaire à CAHORS (46), que le consentement à l’adoption a valablement été donné.
Attendu que les attestations produites par la requérante apparaissent de nature à permettre de considérer que l’adoption réclamée est conforme à l’intérêt de Pablo Camille V. E.
Attendu qu’il y a lieu en conséquence d’infirmer le jugement entrepris et de prononcer l’adoption plénière qui produira ses effets à compter de la requête en application de l’article 355 du code civil, dans les termes du dispositif ci dessous.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 12 juin 2015 par le Tribunal de Grande Instance de CAHORS,
Prononce l’adoption plénière de Pablo Camille V. E, né le 10 octobre 2012 à CAHORS (46) par Marie Cécile P. épouse V. E, née le 6 octobre 1972 à COSNE COURS SUR LOIRE (58),
Dit que Pablo Camille V. E se nommera Pablo Camille V. E P.,
Dit que le présent jugement sera transcrit sur les registres de l’état civil de CAHORS à la requête du Procureur de la République en application de l’article 354 du code civil,
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Le présent arrêt a été signé par Thierry PERRIQUET, président de chambre, et par Nathalie
CAILHETON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
Nathalie CAILHETON Thierry PERRIQUET »